LE MONDE du 28-03-2001

Le tramway de Nancy en arrêt prolongé
Inauguré en décembre 2000, ce nouvel équipement est interdit de circulation.
La technologie choisie - des véhicules sur
pneus - est montrée du doigt, mais certains évoquent aussi de possibles " actes de malveillance "
NANCY de notre correspondante
André Rossinot s'est de nouveau installé, pour la quatrième fois, dans son fauteuil de maire (UDF) de Nancy, et le tout
nouveau tramway sur pneus ne roule toujours pas. Pourtant, s'il n'y avait pas eu " l'affaire du tram ", qu'aurait été la
campagne des municipales ? Françoise Hervé (sans étiquette) et Jean-Yves Le Déaut (PS), ses deux adversaires, ont focalisé
leurs critiques de la gestion précédente sur cet outil de transport, inauguré en décembre 2000, et qui depuis n'a connu
que pannes, avaries et accidents. A croire que le tramway, conçu par Bombardier à Valenciennes et expérimenté à Nancy,
est ensorcelé. Tout va d'ailleurs si mal que le préfet de Meurthe-et-Moselle, après un deuxième accident survenu le
10 mars, lui a interdit de rouler. Nancy a donc vu ses bons vieux bus reprendre du service. Les élus de la communauté
urbaine et, en première ligne, André Rossinot et Charles Choné (président de la Communauté urbaine du Grand Nancy, CUGN)
se sont fait un sang d'encre ces dernières semaines, redoutant d'être sanctionnés par des électeurs, qui sont aussi des
usagers, dont les nerfs ont été mis à rude épreuve.
Le 13 mars, entre les deux tours, un rassemblement de quelque 150 personnes a bloqué le centre de la ville: " Ils nous
avaient promis un tram toutes les 5 minutes aux heures de pointe. On en a 4 ou 5 par heure, c'est l'enfer. Moi j'en ai
assez de pleurer de rage sur les quais ", expliquait Gloria Thalmensy, de Seichamps, à l'origine du mouvement.
A la CUGN, techniciens et élus sont parfaitement conscients de la gêne occasionnée pour les usagers. " Les fréquences,
à terme seront respectées voire accrues ", soutient Thierry Marchal, qui pilote le projet depuis trois ans.
" Pour respecter la cadence d'un tram toutes les 5 minutes aux heures de pointe, il nous faut 18 véhicules, explique-t-il.
Faute de quoi, quand un véhicule tombe en panne, il lui faut 3 à 5 minutes pour repartir. C'est autant de retard pour
le suivant, qui mettra plus de temps à charger davantage de voyageurs. En bout de ligne, le retard peut dépasser
25 minutes, et les gens ratent leurs correspondances ! " Ces dernières semaines, seuls douze trams étaient en
situation de rouler.
UNE PLAINTE DÉPOSÉE
La CUGN estime que le concepteur et constructeur Bombardier porte une part de responsabilités dans les dysfonctionnements
cons-tatés. Ainsi la marche à blanc, sans passagers, a-t-elle été plus longue que prévu, et l'ouverture commerciale,
repoussée début février, parasitée par de petits problèmes techniques. Sans parler de la publication d'un rapport du
Laboratoire techniques, territoires et sociétés (LATTS) commandé par le comité d'entreprise de la CGFTE (la compagnie des
transports de Nancy) qui fait état de problèmes liés à un manque de visibilité pour les chauffeurs.
Mais, ces dernières semaines, le sort a semblé s'acharner sur le tram. " Comme par hasard, on a assisté à une flambée
d'incidents et d'accidents pendant la campagne ", remarque M° Alain Behr, avocat de la CUGN, qui a déposé une plainte
auprès du procureur de la République pour mise en danger de la vie d'autrui, évoquant de " possibles malveillances ". Par
deux fois, les 6 et 10 mars, le tram a dérapé, heurtant un poteau, au cours d'une manoeuvre de dropage-dédropage, qui
consiste à passer du mode guidé au mode routier. Il semblerait qu'une erreur humaine soit à l'origine du premier accident.
En tout cas, les chauffeurs ont réagi et fait valoir leur droit de retrait, accentuant un peu plus la tension, tandis
qu'une expertise était lancée. Quelques jours plus tard, un nouvel accident, dans les mêmes circonstances, amène la
préfecture à suspendre l'autorisation de circuler.
En accusation les galets qui permettent au tram de se connecter à son rail de guidage et qui ont du mal à monter et
à descendre. Depuis, Bombardier a mobilisé une centaine de techniciens affairés jour et nuit à la maintenance et
à la modification des systèmes présen-tant des défaillances. " On sait par expérience qu'un nouveau matériel présente
toujours des difficultés lors de sa mise en service, plaide Hervé Dohen, chef du projet chez Bom-bardier. On a été un
peu bousculés par le calendrier. Nous nous sommes fixé fin mars pour réger le problème de dropage. Parallèlement,
des expertises techniques sont menées sur les véhicules accidentés. La technologie est-elle seule en cause ? Une défaillance
humaine, un manque de maîtrise dans la conduite et le respect des procédures peuvent-ils expliquer les deux incidents,
ou bien s'agit-il de la combinaison des deux facteurs ? C'est à ces questions que la commission technique et l'expertise
judiciaire réclamée par la CUGN devront répondre.
Les techniciens de la CUGN pensent qu'il faudra plusieurs mois avant que tout soit stabilisé et que le tram roule sans
encombre. Bombardier joue gros. D'autres villes sont en effet intéressées par cette technologie et surveillent de près
les péripéties nancéiennes. Aux habitants de l'agglomération de prendre leur mal en patience.
Monique RAUX.
Trois lignes en 2006
- Ligne 1. La première ligne du tramway sur pneus de Nancy traverse l'agglomération de part en part et s'inscrit
dans un plan de déplacements urbains qui donne la priorité aux transports publics. Longue de onze kilomètres, composée
de vingt-huit stations, elle va de Brabois à Essey-lès-Nancy, à l'est de l'agglomération, circule en site réservé dans
le centre-ville, redessiné pour la circonstance.
Gris métallisé, avec de larges baies vitrées, les rames peuvent accueillir cent quarante-trois voyageurs, dont quarante
assis.
- Projets. La ligne 2 est prévue pour 2003, la troisième à l'horizon 2006, en même temps que le TGV-Est. Nancy a entrepris
d'aménager le quartier de la gare pour en faire un pôle d'échanges entre les différents modes de transport.
- Connexions. En adoptant cette technologie propre, l'agglomération de Nancy espérait convertir aux transports en
commun les milliers d'automobilistes qui engorgent quotidiennement le centre de la ville. Les tramways doivent remplacer
les vieux trolleybus, en bout de course. Des parkings relais, aux terminus de la ligne, accueilleront gratuitement
les voitures. Le tram nancéien s'inscrit dans un réseau hiérarchisé, c'est-à-dire qu'il se connecte aux lignes de bus
existantes. Ces dernières semaines, le nouveau tram a connu des retards qui se sont répercutés sur les bus en perturbant
les correspondances.

TROIS QUESTIONS À THIERRY MARCHAL
- Vous êtes directeur général adjoint des services techniques de la Communauté urbaine du Grand Nancy, chef de projet
technique Tram. Pourquoi avoir choisi la technologie du tramway sur pneus ?
Ce choix tient à la conception particulière de Nancy dont les rues sont étroites. La plus large est le boulevard
Jean-Jaurès, dix-sept mètres de large. Ensuite, cela tient à la topographie de la ville, avec des secteurs urbanisés
situés sur des plateaux avec des côtes à 13 %, Brabois notamment, avec un pôle technologique, le CHU, l'université. Or
le tram sur rail, à ce jour, ne permet pas de monter des pentes de plus de 7 à 8 %. L'autre avantage du tramway Bombardier
tient à sa bimodalité, un moteur électrique principal et un moteur thermique d'appoint, plus souple, plus maniable et
moins polluant.
- Des critiques ont porté sur les délais de mise en route, jugés trop courts.
Il est exact que les délais ont été courts. Les études d'exécution ont commencé début 1999. Il fallait préparer les
dossiers d'appel d'offres aux entreprises rapidement, car nous voulions profiter des vacances pour démarrer les travaux.
Ceux-ci ont duré seize mois et ont été achevés fin novembre 2000, avec trois semaines de retard, ce qui est finalement
peu pour un chantier de cette envergure. De ce fait, la marche à blanc a été différée. On pensait qu'un mois serait
suffisant. Nous avons sous-estimé ce délai, d'autant que nous n'avions que huit à dix véhicules, alors que nous aurions
dû en tester dix-huit.
- Quel est le coût de ce tramway sur pneus ?
Le coût est proche du milliard. Avec un dépassement de 10 % dû à la modification du tracé sur Essey-les-nancy après
l'enquête d'utilité publique, à l'installation justifiée d'une climatisation dans les rames et à l'amélioration
esthétique des poteaux. En additionnant l'ensemble (infrastructure, dépôt, rames), le tramway de Nancy revient entre
85 et 90 millions de francs le kilomètre. Ceux de Montpellier et d'Orléans, sur rails, sont chiffrés à respectivement
140 et 110 millions de francs.
Propos recueillis par Monique Raux
Quatre autres villes intéressées par ce matériel
Les soucis du tramway nancéien sont observés avec attention par des villes intéressées par cette même technologie :
Caen, Angers, Pau ou Clermont-Ferrand. La capitale de l'Auvergne a décidé de s'équiper d'un tramway sur pneumatiques
en 1996. Après la suspension par le tribunal administratif du premier appel d'offres, quatre groupes sont sur les rangs :
Ansaldo (Trieste, Italie), Lohr Industrie (Strasbourg), Irisbus (Vénissieux) et Spie-Bombardier (Valenciennes).
Leur dossier doit être déposé fin mai et le choix de principe rendu public en septembre. L'agglomération clermontoise
veut créer une ligne nord-sud de 16 kilomètres. Son coût est estimé à 1,5 milliard de francs et sa mise en service
prévue au printemps 2005. Pour le moment, les services technique chargés de ce dossier ne s'émeuvent pas trop des
incidents nancéiens : ils les expliquent par la rapidité avec laquelle a été mise en place la ligne incriminée
(moins de deux mois).
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